Interview Sylviane Valdois – XXII° Rencontres internationales d’orthophonie – 2022

Interview Sylviane Valdois – XXII° Rencontres internationales d’orthophonie – 2022

XXII° Rencontres Internationales d’Orthophonie

 

Entretien avec Sylviane Valdois

Propos recueillis par Françoise Bois Parriaud, co-responsable des Rencontres d’Orthophonie décembre 2022

En quelques mots, pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?

Je suis rentrée en orthophonie après le bac et j’ai tout de suite travaillé comme orthophoniste. A l’époque on était démunis face aux patients, il n’y avait pas de neuropsychologie, rien de scientifique sur les troubles des apprentissages et j’ai fait des études en psychologie avec une spécialité en aphasiologie car les seules recherches étaient dans ce domaine. Après mon M2 neurosciences cognitives, je suis partie à Montréal où j’ai fait une thèse sur les troubles phonologiques chez les aphasiques. De retour en France, j’ai travaillé à l’hôpital Robert Debré, qui a été déterminant pour mon orientation vers les enfants car on y traitait des pathologies sévères, notamment des dyslexies très sévères qui n’avaient pas de troubles phonologiques ni langagier en amont. C’est ce qui m’a orientée vers l’attention. Les adultes avaient ce type de troubles et je retrouvais chez l’enfant des signes qui évoquaient ces pathologies. Il y a des dyslexiques chez les adultes qui ont clairement un problème d’attention visuelle. Et c’est ça qui m’a poussée à travailler sur les aspects visuels et l’enfant. Puis progressivement vers la théorie de l’empan VA. C’est vraiment venu de la clinique et de l’orientation vers les enfants. Cela m’a également appris qu’il faut voir des enfants dyslexiques quand on est chercheur car ça oblige à remettre en cause la théorie. Les orthophonistes doivent continuer à faire de la recherche pour creuser sur les pathologies qu’on voit en cabinet et non sur le papier.

Les rencontres 2022 au sein desquelles vous allez intervenir portent sur les troubles du langage écrit, quel rôle jouent les orthophonistes dans ce domaine selon vous ?

Au Canada c’est les orthopédagogues, à l’école, qui s’occupent des troubles du langage écrit. En France les orthophonistes sont les seuls professionnels à les prendre en charge. Iels ont un rôle crucial pour la prise en charge. Avec les progrès scientifiques iels sont en 1ère ligne. Maintenant qu’on connait les signes précurseurs chez les petits, ça permet de dégager très vite les facteurs de risque et d’avoir des interventions même en prévention. Les orthophonistes ont également un rôle très important de conseil aux parents, de guidance, et d’interaction avec les écoles. Les orthophonistes devaient avoir un temps rémunéré pour ce travail de « chef d’orchestre ». En effet, on sait qu’il faudrait prendre les enfants 4 à 5 fois par semaine, ce qui dans la réalité est impossible. Dans l’avenir, le rôle de l’orthophoniste devrait être de faire un bilan, puis de choisir la méthode, d’interagir avec les acteurs, de piloter l’entrainement intensif qui ne peut être fait au cabinet et doit donc être fait à la maison. Il faut commencer à préparer ce mode de fonctionnement et trouver des solutions pour fonctionner ainsi.

Pourquoi ces troubles vous intéressent-ils, pourquoi travaillez-vous dessus ?

La recherche a éliminé les problèmes visuels dans la dyslexie, on les a cantonnés à du très bas niveau qui ne relève pas de la dyslexie. Mais on a oublié l’attention visuelle qui est un processus de haut niveau. Le texte écrit est suivi du regard et c’est l’attention qui se déplace de mot en mot. Tous les modèles font l’hypothèse qu’on voit le mot en entier et qu’on a ensuite un problème de conversion graphèmes/phonèmes ; or on a aussi besoin d’attention pour identifier les mots. Et cette attention a une répartition qui n’est pas uniforme, certaines lettres reçoivent plus d’attention. Certains phénomènes comme la baisse d’acuité avec la distance au point de fixation ou l’interférence entre lettres adjacentes (crowding) gênent l’identification des lettres dans le mot. Certaines lettres se ressemblent et sont difficiles à discriminer. Tout cela gêne pour lire, et l’attention fait l’inverse, elle vient éclairer. Si on « fait attention » on voit beaucoup mieux. Certains enfants ont moins de ressource attentionnelle et ne peuvent pas traiter l’ensemble du mot en 1 fixation. Dès le début de ma pratique, j’ai été confrontée à des enfants que je ne comprenais pas, qui ne rentraient pas dans la case « phonologique », c’est ce qui m’a attirée vers ces troubles.

Votre exposé a pour titre : « Entraîner l’empan visuo-attentionnel pour favoriser l’apprentissage de la lecture ». En quelques lignes, de quoi s’agira-t-il ?

En lecture, l’empan VA correspond au nombre de lettres que l’on peut identifier simultanément en une fixation unique. Et son déficit c’est de traiter moins de lettres en même temps à cause de ressources attentionnelles limitées. L’empan est un facteur prédictif du niveau de lecture et même d’orthographe, indépendamment de tout le reste.

Nous avons créé un outil pour évaluer cela : Evadys. Pour répondre à la critique qui nous disait qu’on testait de la phonologie, nous avons fait des IRM et l’imagerie cérébrale a montré que c’est bien une région attentionnelle pas du tout impliquées dans la phonologie qui est activée : les lobules pariétaux supérieurs qui appartiennent au réseau attentionnel dorsal. De plus l’activation est bilatérale et non à gauche comme le langage. D’un point de vue neurologique on a donc des données d’imagerie très claires d’un déficit spécifique qui ne concerne pas les dimensions phonologiques ou langagières. Par ailleurs, l’atteinte des lobules pariétaux supérieurs entraîne un déficit très spécifique de l’empan VA sans perturbation de l’orientation de l’attention ou des traitements magnocellulaires.

Nous avons proposé il y a quelques années le modèle Multitrace de lecture où on introduisait l’attention visuelle. Le 1er modèle d’apprentissage de la lecture de Laberge et Samuel (1974), possédait un module attentionnel, il est complètement oublié.

Les modèles double-voie sont devenus largement dominants, mais ils n’accordent aucun rôle à l’attention pas plus visuelle que phonologique. Or, de plus en plus de recherches comportementales démontrent que l’attention visuelle est impliquée en lecture.

Par exemple, on sait que les jeux vidéo d’action entraînent différentes dimensions attentionnelles (incluant l’orientation de l’attention, l’attention sélective, le contrôle attentionnel et aussi l’empan VA), et que la pratique de ces jeux permet d’améliorer la lecture chez les enfants tout venant et chez les enfants DYS. Nous avons créé des outils de rééducation, Coréva (2016) et Maéva (qui sort actuellement), dont l’effet est scientifiquement prouvé dès 7h d’entrainement. Depuis 5 ans nous menons une étude à très grande échelle dans les écoles, en CP, avec le logiciel EVASION qui reprend le principe des jeux vidéo d’action avec comme objectif l’entrainement de l’empan VA et de l’attention visuelle. Ce logiciel a été utilisé 3X20 mn par semaine pendant 10 semaines dans les classes, avec un groupe test et un groupe contrôle. On a trouvé que le groupe EVASION présentait à l’issu de l’entraînement un meilleur empan visuo-attentionnel, ainsi qu’une progression de la lecture et de l’orthographe lexicale. Car ce logiciel permet un entraînement personnalisé qui s’adapte aux besoins de chaque enfant. L’amélioration des ressources attentionnelles suite à l’entraînement permet de traiter plus rapidement des unités orthographiques plus grandes, ce qui se traduit par une lecture plus rapide et plus efficace.

Tout ceci ouvre des portes pour la clinique et ce sont ces recherches que je me propose donc de vous présenter, afin de contribuer à enrichir la rééducation du trouble développemental du langage écrit.

Site pour suivre le projet Fluence où on a testé EVASION : fluence.cnrs.fr

Pour télécharger l’article : n°419 l’Orthophoniste