Interview Maryse Bianco – XXII° Rencontres internationales d’orthophonie – 2022

Interview Maryse Bianco – XXII° Rencontres internationales d’orthophonie – 2022

XXII° Rencontres Internationales d’Orthophonie

 

Entretien avec Maryse Bianco

Propos recueillis par Agnès Witko, co-responsable des Rencontres d’Orthophonie décembre 2022

En quelques mots, pouvez-vous présenter le parcours qui vous a amené au langage écrit en tant que thématique de recherche principale ?

Au début de ma carrière, j’ai enseigné dans le primaire et dans l’enseignement spécialisé ; j’ai donc été confrontée avec les difficultés d’apprentissage de la lecture et plus encore aux difficultés des enfants pour que la lecture devienne experte et fonctionnelle. Les enfants apprenaient à décoder, mais ils avaient des difficultés pour parvenir à une compréhension et à un intérêt pour une lecture naturelle et investie, d’où mes interrogations pour les processus d’apprentissage et d’acquisition du langage. Dans le cadre de mon doctorat, et dans la suite de ma carrière, je me suis intéressée au fonctionnement et au développement du langage, et plus particulièrement à la compréhension en lecture ainsi qu’à son enseignement. Beaucoup d’enfants en difficulté d’accès à l’écrit parviennent à l’apprentissage du code (le principe alphabétique), mais ils ont des problèmes pour entrer dans la compréhension ; ils restent en quelque sorte confinés au décodage car ils ne développent pas de fluidité de lecture ; et s’il n’y a pas de fluidité de lecture, la compréhension est difficile. Les questions sur la compréhension m’ont amenée à revenir au langage oral, sur la dimension sémantique du langage. Il ressort que le langage oral est déterminant dans l’apprentissage de la compréhension écrite.

La compréhension en lecture repose sur des habiletés fondamentales dont le langage fait partie ; ces habiletés représentent un socle sur  lequel vont se construire des habiletés de plus au niveau qui sont des habilités textuelles. Comprendre des textes consiste d’abord à maîtriser le langage en termes de vocabulaire, de syntaxe. Ces apprentissages sont ensuite mis au service de l’acquisition des habiletés   de compréhension des textes dans toute leur complexité (traitements stratégiques, inférences) et selon les particularités développementales de chaque enfant. Amener les enfants à s’intéresser au langage en tant qu’objet de réflexion est indispensable pour qu’ils puissent s’interroger sur le langage écrit en tant qu’objet culturel, et dépasser le langage intuitif de la conversation courante.

Concernant les troubles du langage écrit, comment concevez-vous les liens entre la recherche fondamentale et la clinique ?

Une complémentarité naturelle existe entre la recherche fondamentale dont la vocation est d’apporter des  connaissances sur les structures et les mécanismes de la lecture, et sur l’analyse des difficultés qui peuvent aider la clinique. La recherche fondamentale peut créer des outils pour la clinique, qui, à son tour, va interroger la recherche fondamentale en pointant par exemple, ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas sur le terrain ou des phénomènes non pris en compte par la recherche. Entre les deux, la recherche appliquée permet de faire un lien entre les connaissances théoriques et leur investissement dans la pratique. Les données de la recherche fondamentale doivent être diffusées dans les sciences médicales, à l’école ou en orthophonie et être mises en œuvre et évaluées dans des dispositifs appliqués. Lorsque les chercheurs administrent un protocole standardisé grâce à un partenariat fort avec des personnes de terrain, comme les enseignants impliqués aux côtés des chercheurs, les résultats sont souvent positifs et encourageants. Mais si l’on veut diffuser les mêmes dispositifs à grande échelle, les choses deviennent beaucoup plus compliquées car derrière l’utilisation des outils, il y a une instrumentation et toute une pratique qui a inspiré leur construction. Une étape d’implémentation est nécessaire grâce à un partenariat entre les chercheurs et les personnes sur le terrain pour transformer les pratiques.

Dans quelle mesure ces troubles sont-ils reliés à d’autres thèmes de recherche que vous menez actuellement ?

Les troubles de la compréhension en lecture sont reliés aux trois problématiques connexes que nous venons d’évoquer : la recherche fondamentale en lien entre le terrain, la diffusion des résultats et des dispositifs, qui comprennent  des outils mais aussi les pratiques sous-jacentes, ainsi que les actions de remédiation. A partir de là, la recherche fondamentale et de terrain se nourrissent mutuellement dans une perspective d’utilité sociale : est-ce que l’action qui a été conduite s’adresse bien  aux difficultés interrogées et y répond de manière suffisamment efficace ?

L’apport de données probantes, autrement dit l’évaluation des dispositifs et des pratiques, est fondamentale. Ces données permettent d’estimer le degré de confiance que l’on peut accorder à l’efficacité de tel ou tel outil, utilisé  dans telle ou telle condition, et pour tel ou tel enfant. En effet, ces recherches montrent par exemple, que certaines pratiques qui peuvent être efficaces en moyenne pour un groupe, peuvent aussi ne l’être que pour certains élèves de ce groupe et dans ce cas souvent, creuser les écarts entre les élèves, ce qui n’est bien entendu pas l’objectif recherché. Autrement dit, certains outils ou dispositifs non évalués peuvent avoir l’effet inverse de celui recherché : loin de diminuer la difficulté scolaire, ils augmentent les différences entre les élèves.

Dans ce cadre, la question du diagnostic peut être posée en termes de forces et de faiblesses repérées chez un enfant. Ce n’est pas une question du tout ou rien et les regards croisés de l’orthophoniste et de l’enseignant peuvent être fructueux. Si l’on compare ce qui se passe chez un ou une orthophoniste, et chez un enseignant ou une enseignante, les orthophonistes vont plutôt s’attacher à des études de cas, et au fait que chaque praticien évalue pour chaque enfant l’apport des outils qui lui ont été proposés : est-ce que tel outil a porté ses fruits ou pas ? Dans le cas d’un enseignant, une évaluation sera plutôt conduite en termes de groupe, mais les analyses peuvent tout à fait se croiser.

Aujourd’hui, les rôles des orthophonistes, des professionnels de santé et des enseignants se rejoignent. Des points de rencontre existent, et il faut bien sûr travailler sur l’idée des collaborations. Chaque enseignant a dans sa classe des enfants en difficulté et les orthophonistes sont les mieux placés pour travailler avec les enseignants sur les difficultés d’apprentissage du langage écrit.

Dans quelle mesure ces troubles sont-ils reliés à d’autres thèmes de recherche que vous menez actuellementVotre exposé a pour titre « L’apprentissage de la lecture : du décodage à la compréhension ». En quelques lignes, de quoi s’agira-t-il lors de ces rencontres ?

Mon exposé portera sur l’acquisition de la lecture experte au-delà du décodage qui est bien sûr une condition nécessaire. Il s’agit de viser un apprentissage pour comprendre, et plus, pour apprendre. Mon exposé traitera trois dimensions fondamentales de cet apprentissage ; premièrement, comprendre impose une maîtrise du langage formel ; deuxièmement, le développement d’une lecture fluide est une condition nécessaire ; les enfants qui rentrent difficilement dans l’écrit peuvent avoir des difficultés soit au niveau du décodage, soit au niveau du langage oral. On rencontre alors des problèmes pour amener ces enfants vers une lecture suffisamment fonctionnelle, c’est-à-dire une lecture autonome qui passe par une lecture  fluide en contexte ;  celle-ci est nécessaire pour comprendre au fur et à mesure le texte qu’on est en train de lire, ce qui permet une réelle  autonomie dans la lecture. Cette dimension intègre le phrasé, la prosodie, au-delà du nombre de mots lus par minute. Par répercussion, le développement intellectuel et culturel est compromis. Enfin le développement d’une attitude réflexive est la troisième condition.

Mon objectif sera de montrer que les processus d’apprentissage doivent se coordonner selon l’âge et selon le niveau scolaire. Par exemple, au CP, l’apprentissage du  code écrit est l’enjeu primordial et, tant que les enfants ne le maîtrisent pas, le travail sur la compréhension ne peut s’effectuer qu’à l’oral ; à la fin du CP, lorsque le  décodage est maîtrisé, les objectifs vont se tourner vers la fluidité de la lecture, l’idée est d’acquérir un rythme pour lire et comprendre de manière autonome.

Pour télécharger l’article : n°422 l’Orthophoniste